Cinquième congrès mondial contre la peine de mort - Intervention du ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius (Madrid, 13/06/2013)


Q - Pourquoi soutenez-vous le cinquième congrès mondial contre la peine de mort ?

R - Tout d’abord, il faut avoir à l’esprit que la France n’a aboli la peine de mort qu’il y a peu de temps, puisque cela a eu lieu il y a un peu plus de 30 ans ; il faut tirer des leçons. Pendant des décennies et des décennies, la population française a été favorable à la peine de mort. Et puis, grâce à des femmes et des hommes courageux, grâce à une alternance politique, la peine de mort a été abolie. Aujourd’hui, il serait inconcevable, non seulement juridiquement mais pratiquement de la rétablir. C’est une première leçon que je tire.

Il faut que les responsables des États qui appliquent encore la peine de mort soient en avant par rapport à leurs opinions et qu’ils n’écoutent pas les arguments ressassés, - toujours les mêmes - tels que : « attention, vous allez détruire la société ; attention la criminalité va augmenter ». C’est un domaine où il faut que les politiques soient en avant, souvent par rapport à des opinions majoritaires.

Je tire une deuxième leçon : quand la peine de mort est supprimée, quelques années plus tard, la population dont la majorité était favorable à la peine de mort lui est devenue hostile. Il faut donc que les politiques aient du courage. De plus, c’est un domaine où le courage des politiques paie et où l’on reconnaît, plusieurs années après, qu’ils ont eu raison.

Une troisième leçon que je tire de ce qui s’est passé en France : une fois que le combat est gagné sur le plan national, il serait absolument contradictoire dans les termes de cesser le combat, parce que ce qui nous a fait supprimer la peine de mort, c’est une certaine idée universelle de la personne humaine. Cette même idée universelle de la personne humaine doit nous conduire à mener le combat, non seulement chez soi mais partout dans le monde.

Enfin, un dernier élément : j’ai pris la responsabilité des affaires étrangères de la France depuis un an. Tout de suite, lorsque l’on m’a demandé quels étaient les grands thèmes de la diplomatie que nous voulions mettre en place, j’ai choisi comme une cause emblématique l’abolition universelle de la peine de mort.

Tout d’abord - je viens de le dire - je crois que c’est une certaine conception de la personne humaine ; ensuite, je pense que c’est conforme au message qu’on attend de la France ; enfin, parce que je crois que la diplomatie peut beaucoup. J’ai donné instruction à tous les ambassadeurs de France d’organiser, dans les pays où ils sont accrédités, des manifestations, souvent un peu risquées, pour expliquer les raisons pour lesquelles nous étions contre la peine de mort. Il faut que les politiques jouent leur rôle ; il faut que les sociétés civiles jouent leur rôle.

Je voudrais pour terminer, rendre hommage, parmi nous, au-delà de nous, aux militants de l’abolition de la peine de mort. Nous, les politiques, nous risquons au maximum de faire un mauvais discours. Les militants, eux, risquent souvent leur vie. Donc, je pense que là, dans cette belle salle où nous sommes, assis tranquillement, à discuter, c’est aux militants de l’abolition universelle de la peine de mort qu’il faut penser.

Q - Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de la campagne que la France a organisée en octobre dernier ?

R - Évidemment. La question qui se pose quand on est au gouvernement, comme nous, c’est de savoir ce que l’on peut faire pour être efficace ? Et la réponse, en tout cas celle que nous proposons, c’est qu’il faut agir de toutes les façons possibles : à la fois sur le plan des principes et sur le plan des pratiques. C’est dans ce cadre-là que, en octobre de l’année dernière, j’ai lancé une campagne dans le réseau diplomatique français - le troisième du monde par son étendue - et mobilisé plus de cinquante ambassades et centres culturels qui ont organisé des conférences, sensibilisé les médias, établi des partenariats, rencontré des associations, des intellectuels pour rappeler, surtout dans des pays qui sont encore hostiles aux thèses qui sont les nôtres, pourquoi nous combattions dans le sens où nous combattons.

Par ailleurs, je me suis associé avec d’autres collègues, notamment le Bénin qui est ici représenté. Nous avons présidé un événement de haut niveau au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies. Nous avons obtenu, avec le Bénin, le Costa-Rica, la Moldavie et la Mongolie, l’organisation d’un débat formel sur l’abolition lors de la session du Conseil, l’année prochaine. À New-York, nous avons soutenu l’adoption des résolutions de l’Assemblée générale qui appelle à l’instauration d’un moratoire universel parce que, très souvent, le moratoire est une étape nécessaire avant l’abolition. Donc ça, c’est l’action diplomatique.

Quand on trace un bilan, bien sûr, le nombre de pays qui adoptent l’abolition augmente progressivement. Mais faisons attention, quand on compare, par une comptabilité horrible le nombre d’exécutions d’une année sur l’autre, on ne retrouve pas ces progressions. Au contraire, il y a des pays où il y a une régression. Il faut donc que nous nous penchions là-dessus et c’est pourquoi je pense que c’est très utile que ce congrès se penche, en particulier, sur ce qui se passe dans un certain nombre de pays arabes, notamment.

Et puis, il y a deux initiatives que je voudrais signaler, qui sont d’un autre ordre et qui peuvent être utiles pour vous. Au mois d’octobre prochain, nous organisons un séminaire parlementaire avec à la fois l’Assemblée nationale et le Sénat français afin de créer des réseaux parlementaires dans le monde arabe en faveur de l’abolition. Parce que nous pensons que la sensibilisation des législateurs est une chose utile.

Et je voudrais faire aussi une autre référence. Je ne sais pas si ceci est pratiqué dans d’autres pays mais nous avons eu l’idée d’organiser, cela vient d’avoir lieu, dans toute la France, sous la présidence de Robert Badinter, un concours de plaidoyer pour l’abolition universelle de la peine de mort qui a réuni plus de 80 lycées et 2.000 lycéens. Il se trouve que la lauréate qui a remporté le concours, grâce au vote du jury, est là. Elle s’appelle Laure. Le premier prix, c’était de m’accompagner pour être présente à ce congrès. Pourquoi avons-nous fait cela ? Parce que nous pensons que la société civile, c’est évidemment décisif et qu’il faut s’adresser aux jeunes pour leur faire comprendre quel est l’enjeu.

Un dernier mot, qui est un mot d’espoir mais en même temps d’espoir vigilant. Je pense que la difficulté principale que nous allons connaître dans le futur, c’est qu’on va nous opposer un « différentialisme » culturel. On va nous expliquer, on nous explique déjà, que dans certains pays, des considérations philosophiques ou des considérations religieuses justifient, expliquent, motivent que l’on continue à pratiquer la peine de mort. Donc je pense que l’un des aspects les plus importants de notre combat dans le futur, c’est d’expliquer que les droits de l’Homme sont universels, qu’il n’y a pas de culturalisme particulier ou de différence religieuse qui pourraient justifier le maintien de la peine de mort, que les droits de la personne humaine sont les mêmes, que l’on se situe dans quelque pays ou quelque continent que ce soit./.

Dernière modification : 04/07/2013

Haut de page